EDITORIAL

En 1949, le maître Djwal Khul avance que la Vie et la volonté émanant de la pensée de Dieu se font sentir par la voix des masses de tous les peuples du monde. Et il ajoute que, pour la première fois, la voix du peuple est « déterminée par la volonté de Dieu »… Ces affirmations ont suscité en nous maints questionnements et ce sont ces réflexions que nous allons partager avec vous.

En préambule, qu’entendons-nous par « voix du peuple » ? Cette notion suggère en premier lieu que la voix qui se fait entendre est exprimée par l’ensemble et non, comme autrefois, par un ou plusieurs individus isolés, reconnus et suivis par les foules. Elle indique aussi que « le peuple » n’est pas réduit à une donnée sociologique ou statistique figée. Sa voix est un processus de construction étroitement corrélé à l’évolution de l’humanité, puisque le maître DK nous dit que c’est la première fois que cette voix est déterminée par la volonté de Dieu. Notre hypothèse est donc que la voix du peuple est la voix de l’humanité exprimant le bien commun et elle postule que cette voix qui s’élève (souvent appelée «opinion publique») émane inconsciemment de l’âme des peuples

L’opinion publique, considérée comme l’expression d’un groupe ou d’un peuple, est relativement récente. Pour les populations soumises à la volonté d’un gouvernement (monarchie, dictature etc.), la faculté de penser était proscrite. Et surtout, l’absence d’éducation limitait d’emblée la faculté d’exprimer son opinion. Puis, l’accès à l’éducation et à la culture s’est généralisé, même s’il manque encore cruellement à une partie de l’humanité. De même, la liberté de la presse et la liberté d’expression sont des droits plus ou moins acquis, tout au moins en occident. Ces avancées sont-elles suffisantes pour que nous soyons certains que l’opinion publique exprime la volonté de Dieu ?

Tout d’abord, essayons de trouver dans notre histoire mondiale proche, des évènements significatifs qui paraissent exprimer cette voix du peuple. Il y a cinquante ans, les années 1960 ont été une période de révoltes « de milliers d’hommes et de femmes de la rue », à l’est comme à l’ouest. En Amérique s’élève une opposition massive à la guerre du Vietnam qui, très vite, traverse l’Atlantique ; à Rome, Berlin-ouest, Londres, Tokyo, au Canada, au Mexique, les manifestants se heurtent à la police. En France, les émeutes gagnent le monde étudiant et ouvrier. Dans tous ces points du monde, la jeunesse prend la parole contre une hiérarchie infaillible. En Tchécoslovaquie, c’est le printemps de Prague, qui sera ensuite sévèrement réprimé. Les États-Unis connaissent aussi une soudaine exacerbation des tensions raciales avec l’assassinat de Martin Luther King et les émeutes qui s’ensuivent. Dans le monde, indubitablement, il y a un avant et un après les années 1960. Un peu plus tard, en 1974, au Portugal, la révolution des œillets abolit sans effusion de sang un régime dictatorial. En Espagne, en 2011, le mouvement des Indignés dénonce pacifiquement l’austérité et la corruption. Toujours en 2011, de l’autre côté de la Méditerranée, le printemps arabe, malgré les soubresauts et les déconvenues qui ont pu suivre dans certains pays, a néanmoins engendré des transformations sans précédent : il a notamment désacralisé le pouvoir politique (les dirigeants ne sont pas des surhommes) et a introduit dans ces pays l’idée que les dirigeants ne peuvent disposer des gens et des richesses publiques comme ils le veulent.

À plus petite échelle, en 2016, en France, le mouvement Nuit Debout rassemble étudiants et travailleurs précaires dans une réflexion pacifique pour réinventer le monde ; il conteste le modèle économique productif, tout en mettant la démocratie au cœur de tout. Encore plus récemment, aux États-Unis, les enfants manifestent pour réclamer le contrôle du port d’armes à feu et, au Maroc, le mot d’ordre pour un boycott des produits de consommation vendus trop cher recueille l’adhésion de nombreux consommateurs. Nous pourrions encore apporter maints autres exemples de la voix des masses qui s’élève spontanément, çà et là, pour réclamer la paix, la juste répartition des richesses et la compréhension entre les hommes… Sont‑ils tous l’expression de la voix du peuple ? Tout ce qui prend la forme d’une révolte de masse, exprime-t-il l’âme du peuple ? Cette dernière peut‑elle aussi se faire entendre sous d’autres formes ?

Quand le maître DK affirme que la voix du peuple commence à exprimer la volonté de bien, c’est-à-dire le plan évolutif pour l’humanité, il nous met en garde sur la nécessité de discerner entre la voix du peuple, expression éclairée d’une opinion publique sensible au bien commun, et, à l’inverse, l’opinion publique fluctuante qui est l’expression de la conscience de la masse d’une humanité émotionnelle et séparatrice. Cette mise en garde est brûlante d’actualité. Nous sommes maintenant à l’ère d’internet et des réseaux sociaux diffusant l’information partout et à tous. En quelques clics, nous avons accès à des milliers de connaissances. Mais cette libre information a aussi pour corollaires, la désinformation ou la manipulation de l’information : théories du complot, fake news, crédulité absolue pour les informations trouvées sur la toile. La bataille de l’opinion publique utilise les médias et les réseaux sociaux pour cibler les plus faibles, ceux qui vont être sensibles à la peur ou aux promesses irréalistes sans lendemain. Quels sont donc les critères qui vont nous permettre de discerner entre la voix éclairée du peuple et l’opinion publique manipulée au profit d’intérêts particuliers et séparateurs ?

 

Considérons par exemple la question cruciale des migrants. Un sondage Ipsos de septembre 2017 mettait en valeur combien cette question inquiète les Français. 75% d’entre eux estiment que des terroristes se cachent parmi les réfugiés et 46% considèrent que la solution de protection serait la fermeture de frontières. Plus récemment, un sondage Sofres, publié par Le Figaro le 15 janvier 2018, évaluait le souhait des Français en matière de politique gouvernementale. La lutte contre l’immigration clandestine arrive en tête avec le même score que le renforcement des lois antiterroristes, soit 43%. Ce score devance celui des mesures pour faciliter l’entrée des jeunes sur le marché du travail (41%) et celui de la lutte contre le changement climatique (28%). Esprit de protection, peur d’être envahis, peur du chômage… Que dirait la voix du peuple si elle était déterminée par la volonté de Dieu ? Quelle est la question posée par les migrants eu égard à l’évolution de l’humanité et de la planète ?
Nous le voyons, l’éveil de l’opinion publique et sa capacité d’aiguiser son discernement sont un défi majeur de l’humanité.

Une autre question se pose encore. Il nous est dit que la masse des peuples du monde peut maintenant, et pour la première fois, devenir sensible à la volonté de Dieu. Ceci implique au préalable de reconnaître deux propositions fondamentales :
– d’une part, que certaines idées de base ont vu le jour au cours des âges et ont amené l’humanité à son point actuel d’évolution et que, pendant tout ce temps, une direction cachée que nous nommons « plan », ou « dessein », a persisté ;
– et, en même temps, que tout développement, toute poussée vers la lumière, se fait par l’expérience, la lutte et la persévérance de l’humanité.

Mais comment les millions d’hommes et de femmes de la rue peuvent-ils devenir sensibles au dessein ? Par quel processus spirituel cette communication est-elle possible ? Au « Ciel des idées » platonicien, dans lequel brillent le bien, le beau et le vrai qui déclinent la volonté de Dieu, la masse des peuples du monde présente une « Terre des idées » qui réclame à grands cris ce qu’elle pressent de cette vie et de cette lumière universelles et offre en retour la connaissance issue de son expérience pour incarner et transformer les idées perçues. Ce processus d’aller-retour entre « le Ciel » et « la Terre » est appelé science de l’invocation et de l’évocation. Il est lui-même étroitement corrélé à la construction de l’antahkarana de l’humanité. Car, à l’antahkarana individuel, pont de lumière entre la personnalité, l’âme et la Monade, vient progressivement se superposer un antahkarana de groupe, celui de l’humanité invoquant le bien commun et offrant ses ressources et son expérience pour l’incarner. La voix qui s’élève de la masse des peuples est alors ferme, déterminée, puissante et inébranlable. Le maître DK nous dit que sa force est sans égale, mais qu’elle est encore peu utilisée.