EDITORIAL

Notre Terre, cette planète porteuse de l’humanité et des règnes animal, végétal, minéral est malade, doublement malade. D’une part près de la moitié de l’humanité se trouve dans la misère alors que depuis trois siècles des richesses se sont accumulées. La presque totalité est entre les mains de 20 % de l’humanité. D’autre part le développement économique suivi, que ce soit dans le cadre de politiques libérales ou de systèmes planifiés, s’est fait dans un esprit de domination et de maîtrise de la nature, entraînant un épuisement des ressources naturelles, de pollutions des terres cultivables, de l’eau, de l’air. Et pour clore le tableau, un dérèglement climatique qui risque de nous amener d’ici 2090 un réchauffement de 5,5 °C avec un accroissement de un mètre du niveau des eaux.

Comme nous l’avons expliqué dans le n° 22 du SON BLEU un tel tableau appelle l’émergence d’une autre civilisation fondée sur des valeurs nouvelles tournées vers la solidarité et le partage. Quatre voies vers cet autre monde nous semblent devoir être creusées :
– Les initiatives locales qui se multiplient dans tous les coins de la planète.
– L’évolution de l’institutionnel politique et notamment de l’Assemblée Générale de l’O.N.U. vers la notion de gouvernance planétaire.
– La vision de la Terre en tant qu’être vivant.

Enfin pour tous les acteurs s’engageant dans cette entreprise, la prise de conscience de l’énergie du « cœur » à l’intérieur d’eux-mêmes.

Il est difficile de faire un choix parmi les nombreuses expériences tentées dans tous les pays. Citons les réalisations concernant l’habitat qui prennent en compte les nouvelles valeurs économiques, écologiques, sociales. Mentionnons les réseaux « Colibris» créés par Pierre Rabhi et qui tentent de mettre en avant « l’humain » dans les projets du vivre ensemble, et fondés sur la sobriété heureuse. L’expérience la plus remarquable nous semble celle de ce petit village d’Andalousie, Marinaleda. Là un maire dynamique a suscité entraide et coopération entre ses administrés, à tel point que dans son village, il y a seulement 5 % de chômeurs, alors que dans l’Andalousie le taux est de 36%.

Ces exemples et beaucoup d’autres que nous mentionnons dans ce numéro 23, montrent à quel point l’humanité est prête à s’engager dans un mouvement de solidarité et de créativité que, seulement trente ans en arrière, on ne pouvait soupçonner

En mai 2012, à Rio nous avons failli voir se mettre en place, sous l’égide de l’O.N.U., la première gouvernance à l’échelle planétaire des problèmes de l’environnement.  La peur des contraintes sur l’économie du Brésil et de quelques autres nations fit échouer le projet au dernier moment. Cela ne fait rien, soyons utopiques. Quand verrons-nous une gouvernance de la répartition de l’eau à la surface de la planète ? Le problème est complexe car il suppose la résolution de difficultés dans les domaines de la santé, de l’habitat, de l’éducation. Quand verrons-nous une gouvernance des énergies : énergies nucléaires, énergies nouvelles qui supposent des recherches dans différents domaines (fusion froide, électricité de l’air) ? Quand y aura-t-il une gouvernance des problèmes de la faim dans le monde, une gouvernance de migration des populations ? Quand se mettra-t-il en place une gouvernance de l’assistance des peuples opprimés ?…

Un Être humain a un corps physique avec des régulations physiologiques très sophistiquées (température, composition saline du sang, pression d’oxygène dans les cellules, etc.). Il a un corps émotionnel le plus souvent étroitement relié au mental-intellect.
Il y a enfin en lui un être spirituel constitué de son âme et de son étincelle divine. Qu’en est-il de notre Terre ? C’est analogiquement la même chose. Elle a un corps physique avec une physiologie, la biosphère magnifiquement démontrée scientifiquement par James Lovelock et Lynn Margulis dans les années 1970-1980. Cette biosphère est le théâtre de régulations très fines (température compatible avec le développement de la vie, concentration saline des océans). C’est la Terre-Mère, Gaïa, de la tradition grecque. Elle a une sphère émotionnelle et intellectuelle que Pierre Teilhard de Chardin a appelé noosphère (sphère de la psyché) dans les années 1920-1930. Elle a en elle un Être spirituel, notre Logos planétaire, le Verbe incarné dans toutes les formes de la planète. Notre Terre est un Etre vivant résultant des influences réciproques du Logos planétaire et de la Terre-Mère.

Travailler en « conscience » comme disent les bio dynamiciens est un bel exemple de manifestation de cette énergie du « cœur ». En conscience veut dire aligné intérieurement, aligné sur l’Âme spirituelle, sur la conscience universelle. Cela veut dire aussi visualiser éventuellement des processus en amont d’une réalisation concrète. Énergie du cœur aussi pour ces sociologues (Bruno Latour, Emilie Hache) qui refusent de considérer, non seulement tous les humains, mais aussi tous les êtres de la nature, comme des moyens, mais comme des fins en soi. Le caillou, l’arbre, le chemin, le cheval sont des fins en soi. Il faut tenter de « se mettre à leur place » pour tisser une relation vraie de conscience à conscience, d’âme à âme. Toutes choses sont ainsi regardées sur un pied d’égalité. Il est ainsi possible, nous disent-ils, de passer des compromis moraux avec les choses, la morale étant ici la relation vraie. Ne peut-on à la limite tisser des compromis moraux avec la science, l’économie, la politique ?
Cela nous rappelle une idée avancée dans le SON BLEU quand nous parlions de spiritualiser l’organisation matérielle du monde. Cela nous évoque aussi la phrase de la Bagavad-Gita « Quand tu peux voir tous les êtres de manière égale, alors tu connais l’Unique ». C’est ce que les bouddhistes appellent l’équanimité, une des qualités majeures du cœur.