EDITO
Marie-Agnès Fremont
MONDE TECHNOLOGIQUE,
MONDE SPIRITUEL ?
Les nouvelles technologies (l’intelligence ar (IA) et la robotique, le big data, les technologies de l’information et de la communication (TIC), la connectivité, la cybersécurité, les nanotechnologies et biotechnologies, etc.) révolutionnent l’ordre du monde, faisant naître des opportunités et des questionnements inédits, induisant de brusques changements sociaux, économiques, culturels, humains. Sur toute la planète, elles ont la capacité de transformer les trois mondes (physique, émotionnel et mental) de la personnalité individuelle et collective, voire de se passer des hommes.
Ce raz de marée technologique est-il au service du surgissement de nouveaux paradigmes porteurs d’évolution, tels le bien du monde, la fraternité, le partage, la coopération et l’accès à l’éducation pour tous, la protection de la planète et des derrière le costume clinquant des productions de l’intellect humain, cache-t-il un magistral assaut du matérialisme triomphant, un emprisonnement de la conscience, un rapt de la pensée, un contrôle déguisé en liberté et des intérêts individualistes et séparateurs au détriment du bien commun ? La présence continue et simultanée de ces deux faces de l’essor technologique met en exergue le dilemme posé à l’humanité.
Le défi est crucial, car ce déferlement technologique s’inscrit dans une phase critique du processus évolutif planétaire et humain marquée notamment par le changement d’ère et le changement des flux énergétiques émanant des rayons qui vitalisent notre planète. Dans notre cycle évolutif planétaire, nous avons atteint le stade où la chaleur de l’intelligence créatrice peut nourrir le germe d’amour et de conscience qui caractérise notre système solaire et l’amener à maturité. L’énergie est là pour créer ce monde nouveau. L’essor technologique nourrit-il ce germe d’amour et de conscience ou nous entraîne-t-il vers une sombre réplique du passé, cachée sous les atours d’un monde nouveau ?
Tels sont les questionnements qui alimentent cette revue. Il ne s’agit pas d’opposer les technophiles aux technophobes, mais de réfléchir sur ce que ces nouvelles technologies nous montrent du processus évolutif en cours et des défis spirituels actuels de notre société.
Ces technologies portent de fabuleux espoirs de progrès pour l’humanité : généralisation de l’accès à l’éducation, libération des tâches inutiles permettant l’ouverture à la culture, au développement intérieur et à la créativité, allongement de l’espérance de vie, diagnostics et traitements assistés par la technologie, appareillages et prothèses…, il est impossible d’en faire une liste exhaustive.
En même temps, ces progrès scientifiques et techniques ont permis, dans les années 60, la naissance aux États-Unis du courant de pensée du transhumanisme dont le rêve est d’améliorer les capacités physiques et intellectuelles de l’homme, de ralentir le vieillissement et même d’abolir la mort. Le corps réparé et augmenté grâce à la technologie pourrait ainsi devenir immortel.
N’est-ce pas confondre l’immortalité du corps et l’immortalité de l’âme ?
Créée en 1956, c’est surtout à partir de 2010 que l’intelligence artificielle (IA) a acquis une puissance suffisante de calcul pour traiter une multitude de données, le big data. Depuis, les algorithmes exercent une emprise croissante sur nos vies. Le progrès est tel que les scientifiques prédisent pour bientôt l’existence d’une IA autonome, dépassant de loin les capacités d’un cerveau humain. L’IA est-elle le fondement d’un nouveau modèle civilisationnel ? Est-elle facilitatrice ou nous prive-t-elle du libre exercice de notre faculté de discernement et d’action ? Pour Eric Sadin1, cette main invisible automatisée représente une offensive antihumaniste. Allons- nous céder à la machine notre pouvoir de décision ? La braintech, ensemble de technologies et d’entraînements cérébral visant l’amélioration des capacités de notre cerveau, va-t-elle modifier notre monde intérieur plus rapidement que l’expansion de conscience qui nous ouvre le monde de l’âme ?
Les technologies numériques (télévision, ordinateurs, smartphones, consoles de jeux etc.) ont bouleversé notre vie publique, nos habitudes familiales et même notre intimité. Mais notre fonctionnement psychique change-t-il pour autant ? La question est cruciale, notamment pour les jeunes qui entretiennent une grande proximité avec les mondes virtuels et pour qui les jeux vidéo sont aussi des espaces d’apprentissage et de construction de compétences.
Et qu’en est-il de l’impact des technologies sur l’environnement ? L’idée d’une industrie numérique « propre » parce qu’« immatérielle » a longtemps dominé les esprits, mais une enquête conduite sur plusieurs continents révèle au contraire le coût exorbitant des hautes technologies.
Un article2 paru dans Le monde diplomatique d’octobre 2021 démontre que selfies, courriels, vidéos en ligne etc. produisent une pollution digitale colossale qui croît plus rapidement que toutes les autres sources de pollution. Les dommages causés à l’environnement découlent des milliards d’interfaces (tablettes, ordinateurs, smartphones) et des données que nous produisons à chaque instant. Ces dernières sont transportées, stockées, traitées dans les data centers ou centres de données qui sont des ogres en énergie !
Le défi est donc crucial et les paradoxes sont nombreux. Les technologies digitales peuvent vraisemblablement stimuler de formidables initiatives écologiques et, en même temps, les biotechnologies peuvent être des outils de manipulation du vivant. De même, alors que la jeune génération se lève pour sauver la planète, replanter des arbres et traîner des États en justice pour inaction climatique, elle recourt simultanément et plus que jamais au commerce en ligne, à la réalité virtuelle, au streaming et au gaming. Elle ne reconnaît pas d’autre monde que celui des hautes technologies pourtant extrêmement polluantes !
Autant de défis, autant de leviers qui stimulent notre conscience et exigent que nous affûtions notre discernement en ce début de 21ème siècle. Alice Bailey parle de « crise planétaire d’amour »3, car le moment est venu pour l’humanité de mettre son intelligence au service de l’amour et du développement de la conscience en la détournant du matérialisme et de l’individualisme où elle risque fort de perdre son âme.
Dans notre rapport à cet afflux incessant de technologies nouvelles, c’est notre motivation et notre capacité d’évaluer leur utilité pour le bien commun qui nous aideront à déterminer le critère involutif ou évolutif de l’utilisation que nous en ferons.
1 Eric Sadin, L’intelligence artificielle ou l’enjeu du siècle, .d. L’échappée, 2021
2 Guillaume Pitron, « quand le numérique détruit la planète » Le Monde Diplomatique N°811, oct. 2021