Article de Marie-Agnès FREMONT
L’universalité des cycles
Chaque jour est rythmé par l’événement symbolique qui nous fait passer de la claire lumière du jour à l’obscurité reposante de la nuit. À la nuit noire, les formes sont invisibles à nos yeux, puis, de nouveau, la lumière pointe. Nous sommes si habitués à ce phénomène que nous ne voyons plus sa signification symbolique et nous oublions que, selon la loi des cycles qui gouverne le monde, les périodes de lumière et d’obscurité, de bien et de mal, de progrès vers l’illumination et d’apparente rechute dans l’obscurité, caractérisent la croissance de toutes les formes. Nous connaissons aussi le rythme des marées, de flux en reflux, notre corps lui-même vit au rythme des pulsations de notre cœur et de l’alternance de nos inspirations et expirations. Ces cycles gouvernent notre vie sans même que nous nous en rendions compte.
La loi des cycles
Les cycles découlent de l’universelle histoire du mariage cosmique entre l’Esprit et la matière, mariage qui se décline à toutes les échelles de l’espace et du temps. Le flux et reflux de la vie divine se manifeste dans les divers règnes de la nature, dans le développement évolutif de l’humanité et dans les expériences des civilisations, des nations et des familles. Cette évolution cyclique résulte donc entièrement de l’interaction entre l’activité de la matière et la volonté de l’Esprit. La loi générale qui produit cet effet cyclique est la loi d’attraction et de répulsion d’où découle la loi subsidiaire de périodicité ou de renaissance. Par la loi d’attraction, l’âme déploie son amour entre ces extrêmes et, par l’alternance des expériences, rend l’être qui chemine sensible à ces deux grands opposés jusqu’à ce que le déploiement de la conscience permette de les vivre comme une unité. La figure 1 nous montre les cycles d’entrée et de sortie d’incarnation provoqués par l’âme agissant selon la loi d’attraction et de répulsion. L’attraction pour la matière provoque l’enfermement de l’âme dans une forme ; c’est l’incarnation. Puis, vient le temps du retrait du désir pour la forme.
Il y a répulsion de la vibration dense émise par la matière et le désir s’oriente maintenant vers l’Esprit. Ce retournement provoque la mort du corps physique. L’attraction vers l’Esprit trouvera aussi sa fin, car la vibration de l’être n’est pas assez subtile pour demeurer en Lui. C’est maintenant la répulsion pour l’Esprit qui initie un désir nouveau pour l’incarnation. Ainsi, par la répétition des allers retours orchestrés par l’âme, la conscience se développe. Quand l’Esprit et la matière émettront la même note, l’unité de conscience sera acquise et il n’y aura plus nécessité de s’incarner.
Les cycles de la vie de l’âme
Une loi subsidiaire de la loi d’attraction est connue sous le singulier nom de loi des marées. C’est une loi humaine fondamentale qui est intimement reliée au développement de la conscience et gouverne le flux et le reflux apparents de l’être incarné. Du point de vue ésotérique, il est dit que certaines âmes « cherchent la lumière de l’expérience » et donc se tournent vers l’expression physique. D’autres âmes « cherchent la lumière de la compréhension » et donc se retirent de la sphère de l’activité humaine pour se frayer un chemin intérieur vers la conscience de l’âme et « demeurer dans la lumière éternelle ». Sans percevoir leur signification profonde, les psychologues se sont aperçus de ces cycles et ont nommé certains types « extravertis » et d’autres « introvertis ».1 Cette différence indique un flux et un reflux dans l’expérience individuelle et aussi les petites correspondances de la vie avec les grands cycles de l’âme.
Le cycle principal pour chaque âme est celui de sa descente en incarnation, suivie par son retour au centre d’où elle provient ; c’est ce que nous appelons couramment « naissance » et « mort ».
Mais les flux et reflux cycliques s’appliquent aussi à la vie de l’âme au cours d’une incarnation.
Si nous y portons notre attention en regardant le déroulement de notre vie d’adulte orienté spirituellement, nous pouvons constater qu’à certains moments de notre vie nous sommes « inspirés » et pleins de vitalité pour poser des actes parfois audacieux, soutenus par notre inspiration intérieure, et puis, à d’autres moments, nous sommes plutôt en retrait, nous faisons le bilan de nos actions passées, parfois même le doute nous tenaille.
Que se passe-t-il ? Notre âme serait-elle inconstante ?
Par ce questionnement sur les morts symboliques, c’est à ce flux et reflux du désir au sein de la même incarnation que nous nous intéressons.Il constitue le problème de l’aspirant qui s’imaginait pouvoir avancer sur un chemin constamment illuminé, laissant derrière lui tous les lieux obscurs. Mais il y a aussi un flux et un reflux dans l’expérience de l’âme sur n’importe quel plan.
La loi des marées concerne la vie de désir, de sentiment et de perception sensorielle. Sous son égide, l’expression « flux et reflux des eaux » prend tout son sens. Avec elle, l’étudiant doit travailler car ses propres impulsions ont aussi leur rythme de flux et de reflux, des périodes de lumière et des périodes d’obscurité. Pour prendre l’initiation, il devra être capable de fonctionner en tant qu’âme, indépendant du tourment cyclique de la vie terrestre.
L’apprentissage du détachement
Les enseignements de la sagesse nous disent que la mort du corps physique a bien peu d’importance du point de vue de l’âme. Ce qui est primordial se joue dans la conscience avec l’apprentissage du « pouvoir de renoncer » qui deviendra la caractéristique du disciple consacré2. Nous savons que l’âme nous relie à notre étincelle de Vie, la Monade. Dans son aspect supérieur, l’âme nous donne accès à l’énergie de la volonté et nous apporte « l’indifférence divine ». Quand nous pourrons accéder à cette indifférence divine, le renoncement ira de soi. Mais le chemin d’apprentissage du détachement est bien long…La nécessité du détachement rythme la construction psychique.
Dès la naissance, l’apprentissage inconscient du détachement nous est imposé par l’incarnation.
D’étape en étape, le consentement à se détacher structure la construction de l’appareil psychique dont se servira l’adulte. Le nourrisson est obligé de lâcher la douceur et la sécurité maternelle qui le comblaient in utéro pour naître au vaste monde, fragile et totalement démuni. Dès la fin de sa première année, l’enfant apprend à sortir de la symbiose maternelle, il se confronte alors à l’angoisse de l’abandon, mais ce détachement est nécessaire pour acquérir ses tous premiers éléments d’autonomie. Il découvre sa « puissance » et s’y attache. Après trois ans, c’est cette conscience de sa toute-puissance d’enfant qui commence à être attaquée. En lâchant ce sentiment de toute-puissance, il pourra découvrir l’autre dans sa différence et, en apprenant à obéir, il découvrira aussi le bien-fondé des règles et de la protection que ses parents lui apportent. Il peut alors s’ouvrir au monde et commencer à forger son intellect. À son adolescence et à son entrée dans l’âge adulte, il devra accepter de se détacher de la protection familiale pour suivre ses propres idéaux et sa propre direction.
D’attachements en détachements, la construction psychique de l’être humain est donc, dès le début, corrélée à l’apprentissage de la perte.
Chaque abandon lui ouvre une étape nouvelle dans sa construction. S’il ne réussit pas à entrer dans ce grand processus, son autonomie, son identité psychique et sa capacité à s’intégrer dans le lien social seront fortement entravées.
La loi de répulsion
Comme nous l’avons vu précédemment, la loi de répulsion est une loi de l’âme, subsidiaire de la grande loi cosmique d’attraction, car ce qui est attiré est en même temps automatiquement et finalement repoussé par ce qui l’attirait en premier lieu. Cette loi est un aspect de la loi fondamentale d’amour et sa fonction est de promouvoir les intérêts spirituels. Elle est à l’œuvre dans la conscience de l’aspirant chez qui elle commence à imprimer le dessein divin, le rendant sensible à des impulsions plus élevées et à des décisions spirituelles qui marquent son progrès sur le sentier.
Elle « rejette l’indésirable de façon à trouver ce après quoi le cœur soupire, et conduit ainsi le pèlerin fatigué d’un sujet à l’autre jusqu’à ce que, choisissant sans se tromper, il prenne la grande décision »3. Avec la force du premier rayon qui abstrait et donne accès à « l’indifférence divine », cette loi répudie le désir. Sous son influence, le désir se détache de l’inférieur pour vitaliser des plans plus élevés.
C’est cette loi qui est à l’œuvre dans la vie de l’aspirant et du disciple quand il est confronté à une « crise évolutive » qui va nécessiter la réorientation de son désir. Cette crise est ici appelée « mort symbolique », car elle n’affecte pas le corps physique, mais nous y retrouvons le même processus que dans la mort réelle.
La mort symbolique
Alors que la mort réelle rythme notre évolution d’incarnation en incarnation, la mort symbolique ponctue l’évolution au cours d’une même incarnation.
Le processus
Tout comme la mort physique, la mort symbolique est initiée par l’âme. Par contre, alors que la mort physique n’est pas ordinairement provoquée par une expansion de conscience, la mort symbolique ne peut pas s’accomplir sans un travail de discernement et sans le renoncement conscient corrélé à un développement de la conscience.
À la mort du corps physique, l’âme suivant la loi d’attraction, retire son désir de la manifestation, délaisse la forme et répond à l’attraction de l’Esprit. Quand il y a mort symbolique au cours d’une incarnation, l’être devenu sensible à la volonté supérieure de l’âme, retire son désir des réalisations inférieures qui ont été les siennes jusqu’à présent et l’oriente vers des valeurs et des réalisations plus élevées.
Ainsi, tout comme dans la mort réelle :
– il y a perte, détachement, renoncement. Il s’agit de mourir à quelque chose qui jusque-là avait été important et signifiant pour l’aspirant. C’est la fin d’un cycle.
– la conscience demeure, mais elle s’ouvre sur un niveau plus subtil. L’identité intérieure est plus affermie.
– la mort symbolique est une porte qui laisse entrevoir un nouveau but.
Par contre, à la différence de la mort réelle, la mort symbolique ouvre un nouveau cycle dans l’incarnation en cours, avec un ancrage dans l’âme plus affermi, une vie intérieure plus intense et une contribution au monde plus ajustée. Ce processus de mort et de renoncement peut toucher différents niveaux de notre personnalité : le niveau physique avec l’attachement aux biens matériels, le niveau émotionnel avec les attachements affectifs, le niveau intellectuel avec l’attachement aux idées ou aux performances intellectuelles, etc. Et quand l’âme frappe un grand coup, c’est la personnalité tout entière qui est attaquée sur tous ses niveaux !
« Pour tenir, il faut détacher, et pour conserver, il faut lâcher.
Telle est la loi. »
Alice Bailey, Psychologie Ésotérique II, § 105
Les circonstances
Le départ du processus peut s’originer dans deux causes différentes :
– soit il est imposé par les circonstances de la vie ; ce peut être par exemple une faillite économique d’une entreprise personnelle. Cet événement malheureux peut toucher tous les aspects de la personnalité. Sur le plan matériel, ce peut être la perte de biens ou d’argent ; sur le plan émotionnel, la perte de rêves et aussi la perte de relations ; sur le plan intellectuel, c’est une blessure d’orgueil, une attaque de la représentation de soi, une humiliation vis-à-vis des autres. Si l’être ainsi touché réussit à dépasser sa déconvenue, à accepter la leçon de sa vie et à élever sa conscience en se détachant de ses désirs anciens, cette mort symbolique ouvrira à un cycle de vie nouveau.
– soit le processus prend source dans la décision spontanée du disciple qui s’ouvre progressivement à une vision plus grande. C’est directement dans sa conscience que l’ébranlement se produit. Par exemple, alors que sa vie est bien stabilisée, il advient à sa conscience qu’elle n’est pas conforme à des aspirations plus élevées. Devrait-il abandonner un travail bien rémunéré pour un autre nettement moins sécurisant, mais dans lequel il perçoit qu’il pourrait rendre un meilleur service et dans lequel il mobiliserait des valeurs plus élevées ? Quelle idée surprenante ! D’ailleurs, souvent, cette perception « saugrenue » est apparemment oubliée, même si, dans la conscience profonde, elle continue à se développer. Puis un jour vient une seconde alerte ravivant la perception initiale, qui cette fois-ci ne peut plus être oubliée… La conscience est tiraillée, le disciple vit le doute, les efforts pour discerner la voie juste, la peur de la perte inévitable. Il sait ce qu’il perd, mais que va-t-il trouver dans le nouveau auquel il aspire ? Quand le désir pour le plus élevé sera plus fort que la souffrance du détachement, la conscience pourra prendre son cours sur un niveau plus subtil initiant ainsi un nouveau cycle (Figure 2).
Qu’est-ce qui est perdu ?
Que reste-t-il ?
Du point de vue de la personnalité, c’est la perte de la sécurité assurée, les automatismes antérieurs sont devenus obsolètes. Dans l’escalier de la vie, l’être a quitté un palier qui était devenu trop étroit et de moindre intérêt. Mais il se retrouve tout petit et encore balbutiant sur la marche supérieure.
Que sera ce nouveau ? Peut-être sera-t-il orienté vers une contribution extérieure plus inspirée ou peut-être, à l’inverse, sera-t-il orienté vers une vie intérieure plus profonde. Mais dans tous les cas, le disciple sait qu’il répond plus justement à l’appel de son âme. Sur les plans intérieurs, son ancrage spirituel fortifié lui procure une vigueur nouvelle. Que lui reste-t-il de son passé ?
Dans toutes les épopées mythiques retraçant le parcours d’un héros, la destruction de ce qui doit être abandonné est totale. Tout ce qui était lié à l’état de conscience inférieur se délite. Mais il y a toujours un reste, un précieux germe de conscience et de vie qui est le fondement du nouveau départ et qui en même temps donne l’intuition d’un prochain pas à accomplir.
Le héros mythique Hercule symbolise, par ses douze travaux, le parcours du disciple sur le sentier et l’évolution progressive de sa conscience. Dans le signe du Scorpion, qui est un signe de mort et de transmutation, sa huitième épreuve, « la destruction de l’hydre de Lerne »4, représente la mort symbolique de la personnalité qui se rend à l’âme. L’hydre est un monstre à neuf têtes dont chacune représente une des forces qui causent des ravages dans l’humanité : les appétits associés au sexe, le bien-être physique, l’argent, la peur, la haine, la soif du pouvoir, l’orgueil, la séparativité, la cruauté. Tant qu’il reste dans l’obscurité et dans la vase, le monstre est invincible, mais quand Hercule l’élève dans l’air, la lumière et le soleil de l’âme, le monstre s’affaiblit et ses neuf têtes s’affaissent d’elles-mêmes. Apparaît alors une tête immortelle ! Hercule la coupe et « l’enterre sous le rocher de la volonté ». Ce travail représente la mort symbolique de la personnalité afin que l’âme puisse exprimer la vie à travers elle. Les neuf forces doivent être réorientées et transmuées, car leur essence est immortelle. La personnalité n’est pas détruite, elle est devenue le canal d’expression de l’âme et se prépare à devenir l’outil de la volonté monadique.
Dans l’enseignement du maître Djwal Khul, la réorientation impulsée par la loi de répulsion est illustrée par un aphorisme spécifique à chaque rayon. Inspirons-nous de celui décrivant la direction du rayon 5, rayon qui concerne particulièrement notre humanité en quête de sens. Après avoir choisi d’oeuvrer à partir de son âme, le chercheur fatigué peut s’appuyer sur la conscience nouvelle acquise laborieusement par les trois corps de sa personnalité, mais tout le reste est détruit. « Le travailleur détruisit alors les objets de son labeur précédent, préservant trois trésors qu’il savait être bons et sur lesquels la lumière pouvait briller. »5 De la même façon, le disciple qui traverse le processus d’une mort symbolique abandonne des acquis matériels et affectifs, ainsi que des formes-pensées limitantes, mais dans sa conscience élargie il garde l’essence de toute son évolution précédemment acquise6.
L’humanité est à la croisée des chemins, les forces de l’individualisme et du matérialisme sont encore bien vivantes. Sur un niveau de conscience supérieur, l’appel au partage des richesses, à la compréhension aimante, aux justes relations se fait de plus en plus pressant. Saisirons-nous l’opportunité ? Sommes-nous prêts, individuellement et collectivement, à mourir à l’attraction ancienne du matérialisme pour nous lancer délibérément dans un cycle plus spirituel ?