Si nous essayons de découvrir les causes des conflits et antipathies qui créent tant de difficulté et de souffrance chez les individus et dans les groupes, nous voyons que l’une des plus significatives est le manque de compréhension. Beaucoup de paroles et d’actions blessantes, attribuées généralement à la méchanceté et au désir de faire du mal, sont en fait dues d’abord à un manque de compréhension. Ce que nous ne comprenons pas naturellement, nous le dévalorisons et le condamnons, et ainsi, de cette attitude critique et négative, émergent les préjugés, l’antipathie et même la haine. Cela se passe chez les individus, les nations, les races et même chez les personnes qui se déclarent religieuses et spirituelles, celles qui plus que toutes les autres devraient montrer l’exemple de l’amour et de la fraternité. Le manque de compréhension n’est pas seulement mauvais en amenant celui qui ne comprend pas à se montrer hostile, mais aussi parce qu’il stimule l’hostilité et le ressentiment dans celui ou ceux qui se sentent mécompris. Comme le disait Keyserling : « Rien ne blesse plus profondément que d’être mal compris, car cela signifie le déni de son identité ».
Mais le manque de compréhension n’est pas toujours associé à de l’hostilité ou à un manque de sympathie. Il peut curieusement co-exister avec l’amour, ou ce qui est habituellement considéré comme de l’amour. L’exemple le plus commun se trouve dans la relation parents-enfants. Il y a des parents qui aiment tendrement leurs enfants et font pour eux beaucoup de sacrifices, mais qui échouent à comprendre ce qu’il se passe dans l’esprit et le coeur de leurs enfants, ce que sont leurs besoins véritables et vitaux. Cet amour aveugle a parfois de terribles conséquences sur la personnalité et la vie d’une personne et les parents inconscients seraient horrifiés s’ils s’en rendaient compte. Il faut regarder ce fait en face et le plus tôt sera le mieux. Nous devons avoir le courage d’abandonner la notion sentimentale que l’« amour » seul suffit. Nous devons reconnaître qu’il y a différentes façon d’exprimer l’amour et que l’amour aveugle, aussi bien intentionné et altruiste soit-il, n’empêche pas les erreurs ou la toxicité. Nous devons réaliser qu’afin de remplir pleinement sa mission d’être utile à l’être aimé, l’amour doit s’allier à la connaissance intuitive, et, plus encore, doit être imprégné de sagesse et s’unir avec elle. Sans compréhension il ne peut pas y avoir d’innocuité.
Nous ne devons cependant pas être trop sévères avec ceux qui ne comprennent pas ; nous devons aussi apprendre à les comprendre. Une compréhension profonde d’un autre être est loin d’être facile. En fait, c’est souvent extrêmement difficile. Chaque individu est un mélange d’innombrables éléments très divers, venant de sources très différentes, existant à différents niveaux, et qui agissent et réagissent les uns avec les autres et constituent ainsi une combinaison nouvelle et unique. En outre, tous les constituants de la personne que nous essayons de comprendre ne sont pas visibles, la plupart sont cachés profondément dans les niveaux inconscients et nous ne pouvons que deviner leur existence par des manifestations indirectes ou occasionnelles. Et cela n’est pas tout ! une telle combinaison n’est pas statique ; de nouveaux éléments y entrent continuellement alors que d’autres la quittent et d’autres encore changent au cours de leurs propres processus organiques de développement et de transmutation. Ainsi l’être que nous essayons de comprendre change continuellement sous notre regard étonné.
Comme le problème de chaque individu est unique, la solution est unique également. Nous pouvons dire en fait que pour chaque individu une nouvelle méthode, une nouvelle voie doit être trouvée. L’« équation psycho-algébrique » individuelle demande dans chaque cas une nouvelle intégration. C’est à la fois l’objectif de la psychosynthèse et sa pratique. Il est donc évident que les conseils que beaucoup sont toujours prêts à donner, qu’ils soient demandés ou pas d’ailleurs, manquent souvent leur cible et, bien que donnés avec les meilleures intentions, peuvent créer la confusion et induire en erreur.
La difficulté de comprendre correctement devient encore plus grande dans ces cas où la personne se trouve dans un état d’obscurcissement spirituel. Dans un tel état, on observe un bouleversement de nombreux éléments indésirables et inférieurs, surgissant de l’inconscient. Ils apparaissent ainsi afin d’être dissipés et éliminés, ce qui est nécessaire et bénéfique, mais très perturbant et douloureux aussi longtemps que cela dure. Cela produit des manifestations inattendues et intrigantes. Nous devons nous préparer à reconnaître de telles manifestations tout en nous abstenant plus que jamais de juger et condamner.
Rendons-nous compte également qu’en dehors de ces conditions particulières, chaque personne apparaît souvent, dans les circonstances de la vie de tous les jours, sous son plus mauvais jour. Dans les relations, c’est la personnalité qui est évidente et qui domine et non l’homme intérieur qui s’efforce de la maîtriser, mais qui peut même l’autoriser à faire selon ses désirs dans les petites choses de la vie quotidienne. Pour la majorité des gens, c’est seulement à de rares moments de stress intense, de danger ou d’aspiration et de service que l’être intérieur vient à la surface et se manifeste temporairement.
Ce qui est vrai pour les autres l’est également pour nous et la nécessité d’une compréhension profonde de nous-mêmes n’est pas plus facile. Dans notre cas, nous avons plus d’éléments et de facteurs à notre disposition, mais nous sommes d’autant plus enclin à juger de manière biaisée et partiale. La plupart des gens sont enclins à juger leurs semblables négativement ou durement et tendent à être indulgents avec eux-mêmes et à justifier ingénieusement leurs insuffisances et faiblesses. Une minorité pourtant s’égare dans la direction opposée, est tourmentée par un sentiment d’infériorité et se dévalorise sévèrement. D’autres personnes encore oscillent entre ces deux extrêmes.
Voyons maintenant les manières et moyens par lesquels la compréhension peut être favorisée en chacun de nous. C’est la tâche principale de la psychologie nouvelle.
La science de la psychologie traverse une crise, mais celle-ci est constructive et indique la croissance et le dépassement des limites actuelles. L’existence de facultés supérieures, de pouvoirs spirituels, d’un Soi supérieur ou âme commence à être reconnue par les scientifiques les plus larges d’esprit et par de nombreux penseurs et étudiants à travers le monde. L’intuition est à nouveau reconnue et honorée comme une véritable fonction psychologique, comme un moyen direct d’acquérir de la connaissance. L’illumination commence également à ne plus être considérée comme anormale, mais supranormale – non plus comme une exaltation émotionnelle, mais comme une révélation de réalités cachées.
Nous pouvons donc nous attendre en toute confiance à ce que le fait de l’existence de l’âme soit bientôt généralement accepté, même si pas encore pleinement réalisé. Sa simple acceptation et reconnaissance aura des effets considérables. Elle peut, et devrait, révolutionner entièrement notre attitude envers nous-mêmes et nos semblables.
Lorsque nous considérons constamment les autres et nous-mêmes comme étant réellement des âmes qui essaient de se manifester au travers d’une personnalité plus ou moins imparfaite, aveugle et insoumise et que cela devient l’objectif le plus important et pressant de notre être ici et maintenant, et si par ailleurs nous pouvons voir que les âmes ne sont pas des entités séparées et isolées, mais qu’elles sont essentiellement une avec l’Âme-une, et si nous cherchons continuellement à réaliser cette unité au travers de la conscience de groupe et de l’activité de groupe, nos attitudes et notre comportement changeront alors radicalement. Nous percevrons derrière chaque individu l’âme emprisonnée et notre reconnaissance et notre amour s’écouleront naturellement vers lui. Nous réaliserons combien la critique, la médisance, la jalousie et l’antagonisme sont fondamentalement futiles et erronés et combien la seule chose correcte et rationnelle à faire est de coopérer avec cette âme, en déversant notre amour et par la compréhension de ses problèmes et de ses épreuves.
Mais l’unité essentielle de toutes les âmes à l’intérieur de la Vie-une n’exclut pas les différences de qualités de ces âmes ajoutées aux différences existant dans les aspects de leur personnalité3. Nous devons donc entreprendre une étude sérieuse de ces différentes qualités, de comment elles se manifestent dans les différents types humains. Cette étude devrait de plus en plus faire partie de la nouvelle psychologie. Nous devrions tendre à comprendre la véritable nature, la fonction et le dessein sous-jacents, les problèmes spécifiques, les vertus et les vices de chaque type humain.
La première faculté de l’être humain que nous devons utiliser et développer afin d’arriver à la compréhension est le mental qui, dans son aspect supérieur, est dirigé vers l’âme et devient capable de percevoir sa lumière, et toute chose et tout être dans cette lumière. Cela se prépare par la bonne utilisation de l’imagination. Ensuite, nous pouvons développer les facultés supérieures de l’intuition et de l’identification spirituelle consciente. Cette dernière est très différente de l’identification aveugle et passive qui prend souvent place entre personnalités. Dans l’identification spirituelle, il n’y a pas d’absorption dans l’autre ni d’attachement ; plutôt que d’agripper et de limiter, elle rayonne.
Les effets d’une telle compréhension aimante sont immensément bénéfiques, car la compréhension est directement créative. Comme un rayon de soleil vivant et chaud, elle soutient la croissance et l’expansion dans ces vies humaines vers lesquelles elle est dirigée et qu’elle pénètre de son influence subtile et puissante. Elle évoque le Soi supérieur, l’âme. L’individu qui se sent compris de cette manière s’ouvre et s’épanouit, et se transforme lui-même presque de manière magique. Les attitudes crispées, tendues, défensives se dissolvent. Le meilleur de la personne émerge naturellement et facilement au premier plan et elle réalise en même temps ses propres possibilités, insoupçonnées jusqu’ici, et la mesquinerie des ses prétentions personnelles ordinaires.
Il arrive ainsi souvent qu’en présence d’un individu démontrant cette compréhension aimante, un être exprime librement ses défauts et ses péchés et se juge drastiquement, alors qu’il lui en aurait amèrement voulu et aurait rejeté ce jugement s’il était venu de quelqu’un ayant une attitude critique et de reproche. Cela n’est pas surprenant parce que la compréhension aimante pénètre profondément jusqu’au cœur de la personne et évoque l’être intérieur, qui surgit alors et inonde les individus de sa lumière.
Cette immense puissance du bien, inhérente à la compréhension aimante, doit éveiller en nous une forte détermination à la réaliser. Et, comme pour toute réalisation de nature spirituelle, ce que nous devons faire est double : cultiver cette qualité et éliminer les obstacles qui empêchent ou rendent difficile sa croissance.
Nous devons donc nous efforcer de développer d’un côté la sympathie, l’amour et la perception intuitive, et, de l’autre côté, de cultiver le désintéressement, l’oubli de soi et le détachement émotionnel. De cette manière, nous réaliserons l’un des principaux objectifs de notre évolution – un amour sage, sans attachement, un amour sincère qui génère la liberté et nous rend libre.