Article de Christiane BALLIF revue 31 – page 11

LA DIFFÉRENCIATION DES NIVEAUX DE CONSCIENCE EN PSYCHOSYNTHÈSE

« Freud a dit qu’il n’était intéressé que par les fondations [de la maison]. … La psychosynthèse s’intéresse à la maison tout entière. … Nous essayons de construire un ascenseur qui permette à la personne d’accéder à tous les niveaux de sa personnalité, …. nous voulons donner accès à la terrasse sur le toit où cette personne pourra prendre le soleil ou regarder les étoiles »1. – Roberto Assagioli

Le psychiatre italien Roberto Assagioli, fondateur de la psychosynthèse, reconnaissait la valeur de la théorie psychanalytique de Freud, mais estimait qu’il lui manquait la compréhension des aspects créatif et spirituel de la personne. Il a cherché à construire un modèle qui tienne compte de tous les niveaux de la psyché et qui permette un cheminement intégrant et synthétisant toutes les parties de la personnalité afin qu’elles travaillent ensemble et qu’ainsi chaque individu puisse répondre aux demandes psychologiques et spirituelles de la vie.

L’ “ANATOMIE” DE LA PERSONNE

Le diagramme ovale dit « de l’oeuf », présenté ci-dessous, est un modèle central et fondamental de la personne dans la théorie de la psychosynthèse, bien qu’Assagioli ait dit de lui qu’il était loin d’être parfait et ne donnait qu’une idée très statique et élémentaire de notre constitution intérieure. Il représente l’anatomie de la psyché humaine, alors que sa physiologie s’exprime dans la croissance et les transformations qu’une personne traverse au cours du processus de psychosynthèse.

1. l’inconscient inférieur
2. l’inconscient moyen
3. l’inconscient supérieur ou supraconscient
4. le champ de conscience
5. le soi personnel ou « Je »
6. le Soi transpersonnel ou Soi supérieur
7. l’inconscient collectif

 

Les différents aspects de la conscience d’une personne constituent tout le spectre de l’expérience consciente potentielle. Ces différents niveaux sont dits « inconscients » simplement parce que le matériel qu’ils contiennent n’est pas dans le champ de conscience immédiat, mais les lignes pointillées du diagramme indiquent que le contenu de ces différents secteurs peut dépasser ces limites et entrer dans le champ de conscience dans certaines circonstances. Les sentiments, pensées, sensations, images, énergies et tous les autres contenus de la conscience peuvent passer d’un secteur à l’autre librement. Les lignes pointillées symbolisent aussi le fait que même lorsque du contenu inconscient reste inconscient, il va néanmoins causer des effets, parfois puissants, dans la vie consciente de la personne.

LE CHAMP DE CONSCIENCE ET L’INCONSCIENT MOYEN

Le « champ de conscience » est le cercle au centre du diagramme qui représente ce que nous pensons, sentons et percevons dans le moment présent. Ce champ de conscience est entouré par l’inconscient moyen, une zone qui contient ce qui nous permet de fonctionner dans notre vie quotidienne. L’inconscient moyen est en contact direct avec le champ de conscience et est formé d’éléments psychologiques similaires à ceux de la conscience éveillée. Il contient les capacités et notions qui peuvent être ramenées dans le champ de conscience rapidement. C’est ainsi que nous pouvons nous souvenir de ce que nous avons fait hier, d’un numéro de téléphone, où nous avons parqué la voiture, etc. C’est là aussi que les différentes expériences de nos vies sont assimilées. Nous apprenons à conduire ou à jouer du piano, les gestes sont conscients, puis après assimilation, nous pouvons les répéter automatiquement. Ce « savoir-faire » est contenu dans l’inconscient moyen.

L’INCONSCIENT INFÉRIEUR

Cette zone comprend les fonctions fondamentales qui maintiennent la vie du corps. C’est le centre de contrôle de la respiration, des battements du coeur, des instincts et de tous les processus automatiques qui régissent la vie du corps. L’inconscient inférieur contient également tous les désirs, les émotions et les traumatismes réprimés. C’est « l’inconscient » de Freud. Les blessures que nous développons dans un environnement hostile, certains aspects jugés dangereux ou trop désagréables pour être intégrés à notre fonctionnement quotidien y sont repoussés, au-delà de la conscience, au-delà de l’inconscient moyen et forment des zones qui sont non seulement inconscientes mais également réprimées. Et Assagioli nous dit que tout ce qui est réprimé revient à un moment ou à un autre, souvent sous une autre forme – déguisé – afin de réclamer son dû. Puisqu’un inconscient réprimé est par définition inaccessible à la conscience immédiate, sa présence doit être déduite du comportement ou du ressenti. Lorsque ce matériel réprimé est stimulé par un événement, nous pouvons par exemple réagir de manière apparemment irrationnelle, par la colère, des sentiments d’abandon ou de dépression, etc. L’inconscient inférieur ne contient pas simplement les expériences du passé réprimées, il existe dans le présent et affecte notre vie quotidienne.

C’est dans l’inconscient inférieur et moyen qu’Assagioli place les sub-personnalités. Ces schémas d’expérience et de comportement se sont développés au cours du temps en tant qu’expressions de la personne. C’est ainsi que si nous travaillons dans l’enseignement, nous avons développé une sub-personnalité d’enseignant qui devient une structure à l’intérieur de la personnalité par laquelle les compétences acquises peuvent s’exprimer. La sub-personnalité permet à la personne de faire l’expérience du monde à travers ses compétences et comportements. Nous sommes encore des conducteurs, des amis, des parents, etc. Et nous observons aussi comme notre humeur peut changer rapidement, comme nous nous comportons de manière différente selon les personnes ou les lieux. Nous pouvons nous montrer quelquefois agressifs ou timides dans nos relations, notre confiance en nous s’évanouit parfois et fait place à l’anxiété face à une personne qui représente l’autorité, etc. Ces comportements et manières de réagir entrent et sortent continuellement de notre champ de conscience. Comme le dit Assagioli2 : « Nous ne sommes pas unifiés. Nous en avons souvent l’illusion…, mais, à l’intérieur de nous, différentes personnalités se combattent continuellement : impulsions, désirs, principes, aspirations, idéaux, sont en tumulte continuel ». Une sub-personnalité n’est qu’une partie de la personnalité, mais nous pouvons totalement nous identifier à elle et mettre ses besoins et points de vue au-dessus de tout. Cela colore notre perception et nous fait agir ou ressentir d’une certaine manière dans certaines circonstances et cache les qualités essentielles de notre être.

Ce que la psychosynthèse se propose, c’est de reconnaître les sub-personnalités les plus actives, de s’en désidentifier, de devenir le « Je » qui dirige ces éléments et les intègre pour les utiliser de manière adéquate, comme un chef d’orchestre dirige son orchestre.

LE « JE » ET LE SOI TRANSPERSONNEL

Lorsque nous ne nous observons pas, nous sommes souvent identifiés avec le contenu de la conscience. Nous disons : « je suis fatigué » ou encore : « la vie est triste » ; ce qui montre l’identification au ressenti de fatigue ou une profonde identification au sentiment de tristesse qui nous fait généraliser. Mais il existe quelque chose en nous qui ne change pas avec notre humeur. Si l’on n’admet pas l’existence de ce quelque chose, il est impossible d’expliquer le sentiment d’identité personnelle que l’on ressent malgré les changements de nos humeurs et pensées.

Ce centre d’identité est ce que l’on appelle le « Je » ou soi personnel. Le « Je » est distinct du contenu de la conscience, c’est-à-dire des sub-personnalités, des sensations, sentiments et pensées. Il est le centre de conscience et de volonté personnel, à la fois l’observateur et le dirigeant. Dans le diagramme, il est représenté au centre du champ de conscience.

Le Soi, représenté comme rayonnant au sommet du diagramme et le « Je » ne sont pas essentiellement séparés. Le Soi est la source, le « Je » est sa manifestation au niveau de la personnalité. Le diagramme de l’oeuf est d’ailleurs parfois représenté sans 25le Soi transpersonnel3, celui-ci n’est alors figuré nulle part parce qu’il est partout et imprègne toutes les dimensions de la personne. Le Soi et le « Je » sont comme l’espace dans lequel nous avons construit une maison. L’espace est éternel et immuable, alors que le contenu de l’espace, la maison avec tous ses éléments, change continuellement. L’espace existait avant la maison, il existe maintenant dans la maison en tant qu’espace de la maison.

L’apparente dualité que l’on peut ressentir entre le « Je » et le Soi transpersonnel est le fait que le « Je », le soi personnel, est généralement ignorant du Soi transpersonnel et souvent nie son existence ; le Soi reste alors latent et non révélé dans le champ de conscience. Dans une interview4, Assagioli évoque également les résistances du « Je », multiples et subtiles, à reconnaître le Soi et l’importance d’être conscient de cette résistance. Pour Assagioli, la chose la plus importante est la qualité d’éveil et de présence, d’être l’observateur de ce grand jeu afin d’établir une véritable communication entre le soi personnel et le Soi transpersonnel.

L’INCONSCIENT SUPÉRIEUR OU SUPRACONSCIENT

« Supraconscient » est un terme qui désigne les régions supérieures, spirituelles ou transpersonnelles de la psyché. C’est là que nous trouvons diverses fonctions telles que la créativité, les idéaux d’amour, de compassion et de service. Les expériences supraconscientes sont des moments où nous ressentons le sens plus profond de la vie, un sens d’universalité, de connexion avec le cosmos, de la sérénité où nous recevons nos intuitions et nos inspirations. Assagioli dit que le supraconscient contient nos potentialités qui cherchent à se manifester, mais que nous repoussons et réprimons souvent. Pour le citer : « Il y a une répression claire des impulsions supérieures, répression qui est tout à fait semblable a  celle des instincts inférieurs découverte par la psychanalyse ».5 Comme pour l’inconscient inférieur, cette région ne peut être appréhendée que par déduction, lorsque nous faisons l’expérience de moments durant lesquels le contenu du supraconscient se manifeste dans le champ de conscience.

« Le Soi opère au travers du supraconscient de la même manière que le « Je » opère au travers de la personnalité. Le Soi est au supraconscient ce que le « Je » est aux éléments et aux fonctions de la personnalité, avec la différence que le « Je » s’identifie souvent aux éléments de la personnalité, alors que le Soi ne s’identifie pas au supraconscient. Le supraconscient est de la plus haute importance dans notre développement et sa position essentielle a besoin d’être appréciée et comprise, parce que, en parallèle à l’intensité croissante de la réalisation de la conscience de soi – qui peut être considérée comme une montée, ou un progrès le long de la dimension verticale – il y a le besoin d’expérience, d’expansion et d’expression à tous les niveaux le long de la dimension horizontale. »6

L’INCONSCIENT COLLECTIF

Notre psyché n’est pas isolée. Comme une cellule de notre corps, en constante relation avec le corps tout entier, elle baigne dans l’inconscient collectif représenté tout autour du diagramme et est continuellement en relation avec ce monde subjectif propre à l’humanité et à toute vie. L’inconscient collectif contient les schémas universels des sentiments et des pensées inconscients que nous partageons avec ceux autour de nous et avec l’humanité tout entière. Il contient entre autres ces structures que Jung a appelé « archétypes » qui expriment les modèles fondamentaux de comportements et de représentations de l’expérience humaine et qui révèlent leur présence par des images symboliques qui peuvent se manifester dans la vie consciente.

CONNAIS-TOI TOI-MÊME,

LA PSYCHOSYNTHÈSE PERSONNELLE ET TRANSPERSONNELLE

Bien que le Soi et le contenu du supraconscient puissent faire irruption spontanément dans notre champ de conscience, comme le peut le contenu de l’inconscient inférieur, la première étape du développement conscient de la conscience est de faire l’expérience du « Je ». Pour cela, il est nécessaire de se désidentifier de tous les contenus de la conscience personnelle – sentiments, pensées, sensations, sub-personnalités – de réaliser que nous avons un corps, des sentiments et des pensées, mais que nous ne sommes pas que cela, les éléments de la personnalité. La désidentification d’une sub-personnalité, d’une émotion ou d’une pensée, ne nous coupe pas du ressenti, mais permet une expansion du champ de conscience, une meilleure qualité de présence. La personnalité peut ainsi intégrer dans le champ de conscience des éléments jusqu’alors inconscients telle une plus juste compréhension, de la bienveillance, etc. et atteint ainsi un plus haut niveau d’intégration. La psychosynthèse personnelle est juste cela, la création par le « Je », le soi personnel, d’une personnalité intégrée. Cela permet à la personne de prendre des décisions qui ne sont plus limitées et conditionnées. Cette liberté met en évidence cet aspect et fonction de la conscience qu’Assagioli appelle la volonté et qui permet l’expression du « Je »7.

« Le « Je » doit être capable de s’exprimer à tous les niveaux de la personnalité, doit utiliser toutes les énergies et fonctions sans identification obligée avec aucune d’entre elles, étant libre d’être complètement ou partiellement identifié avec n’importe quelle fonction selon sa volonté et selon son dessein. Dans la mesure où le « Je » réussit cela, il devient capable de s’élever, au travers du supraconscient – le domaine transpersonnel – vers le Soi et de s’identifier au Soi »8.

Le travail de l’évolution de la conscience est d’apprendre à consciemment habiter tous les niveaux de la psyché, d’apprendre à vivre dans toutes les pièces de la maison. Comme il est expliqué dans les aphorismes de yoga de Patanjali9, le yoga – la science de l’union – est « existence simultanée dans tous les plans ». Les dimensions personnelle et transpersonnelle de l’évolution de la conscience sont deux aspects du même processus qui mène à la synthèse et à devenir ce que nous sommes réellement.

Laissons Assagioli conclure cette présentation10 : « Et cet état si élevé (l’identification au Soi) n’est en aucune manière la fin du chemin. Il est l’aboutissement d’un cycle qui mène au commencement d’un nouveau cycle, de la même façon que la graine qui germe dans l’obscurité du sol fait son chemin avec grande difficulté et émerge dans la liberté d’une nouvelle existence, à la lumière et dans un espace dégagé. De même, en accomplissant l’identification avec le Soi et la conscience de l’universalité, nous trouvons notre juste place dans le plus grand tout, et en faisant cela entrons dans un nouveau cycle, que les sages d’Orient ont appelé la voie de l’évolution supérieure ». ■

 

1- The Golden Mean, Psychology Today, december 1974
2- Cité dans Ferrucci, P. (1982), Votre épanouissement personnel par la psychosynthèse. éd.Retz
3 Firman, J. & Gila, A. (2002) Psychosynthesis, a psychology of the Spirit.
4 Conversation with R.Assagioli, Psychosynthesis Digest, spring 1983
5 Roberto Assagioli (1927), A New Method of Healing: Psychosynthesis
6 Le supraconscient et le Soi, R. Assagioli, « Le Son Bleu » no 25le
7 Le « Je » s’exprimant par la volonté personnelle et le Soi transpersonnel par la volonté transpersonnelle
8 Le supraconscient et le Soi, R. Assagioli, « Le Son Bleu » n 25
9 Leçons sur le Yoga de Patanjali, E. Krishnamacharya, éd. www.lulu.com/fr
10 Le supraconscient et le Soi, R. Assagioli, « Le Son Bleu » no 25conscience

RÉFÉRENCES :
Brown, M. (2009) Growing Whole, Self-Realization for the Great Turning. Mt Shasta, CA:Psychosynthesis press.
Firman, J. & Gila, A. (2002) Psychosynthesis, a psychology of the Spirit. New York:State university of New York press.