FRATERNITÉ INTERRÈGNES

« J’essaierai d’exprimer les objectifs les plus profonds de la fraternité afin que vous puissiez les comprendre et y coopérer. On attend de l’humanité qu’elle agisse comme une centrale de pouvoir à travers laquelle certains types d’énergie puissent s’écouler vers les formes de vie qui se trouvent dans les règnes subhumains. L’humanité pourra relier les plus hautes manifestations de la vie aux plus inférieures ».

Comment voir la fraternité interrègnes ? Cela pourrait se définir comme : être issus du même Père. Père, Dieu, Énergie, Vie sont synonymes. Être en fraternité avec les règnes minéral, végétal, animal, reconnaître partager la même vie, c’est à la manière de Friedrich Hölderlin pouvoir dire : « la pensée la plus profonde aime la vie la plus vivante ».En avoir conscience implique avoir la juste place parmi le monde vivant, dynamiser les relations et la vie elle-même.

L’émergence actuelle de la pensée du vivant : une écologie du vivant

« La tâche de l’Homme est d’exprimer la fraternité sur le plan physique ». Nous devons retrouver ce qu’est la vie vivante, nous « reterrestrer », insiste Bruno Latour.
Nombreux sont les penseurs, philosophes, chercheurs, botanistes, agronomes qui nous invitent à expérimenter une nouvelle relation au monde. Nous sommes vivants parmi les autres vivants Nous partageons la même vie, les mêmes territoires, la même histoire de 13 milliards d’années, ce qui implique d’engager des relations de réciprocité, d’entrer en contact avec. Non point dominer la nature, mais lui laisser la place, la rencontrer, « penser comme un arbre », nous dit Jacques Tassin, chercheur en écologie végétale au CIRAD, «penser loup », nous propose Baptiste Morizot, philosophe et pisteur de loup. « Aucun être vivant ne se résume à un programme », à des statistiques, à des algorithmes, comme le souligne Alain Demasio qui ajoute : « Cette liberté qu’on supposait inhérente aux seuls humains trouve sa forme spécifique en réalité partout et donc exige des égards ».
Baptiste Morizot politise le vivant. Il propose un nouveau vivre ensemble par la rencontre, la cohabitation, l’interdépendance entre les animaux, les végétaux et les humains. Il invente les égards ajustés. « Les égards à inventer sont ajustés et non pas justes, précisément parce que les êtres en présence sont des êtres en vérité, inconnus dans leur puissance {…}. Constamment recommencer l’effort pour que l’accord reste juste comme dans un orchestre. Ce n’est pas de la morale mais un artisanat pratique {…}. Cette réinvention est aussi et d’abord le grand enjeu de tous les praticiens au contact des autres formes de vie, paysans, permaculteurs, forestiers, aménageurs, conservationnistes, urbanistes, architectes. »
Jacques Tassin nous dit qu’une écologie centrée sur le vivant ne peut s’affranchir d’un engagement de nos facultés sensibles, d’une connaissance première engageant notre corps. Il appelle à construire un programme d’éducation et de pédagogie pour remettre l’humain au coeur des interrelations avec les règnes et pour apprendre aux enfants à multiplier les expériences sensibles avec le vivant4, en commençant par « débitumer » les cours d’école. Reconsidérer le vivant, c’est reconnaître la part centrale de la relation entre les vivants, c’est expérimenter « les manières d’être vivant », c’est promouvoir une « écologie du sensible », c’est aussi « rétablir notre plénitude existentielle au sein de la matière vivante entourant notre terre ».

La science actuelle en écho à la sagesse universelle

L’approche de ces chercheurs vient illustrer ce que dit la sagesse universelle à propos du vivant comme expression de la fraternité interrègnes.
Pour coopérer avec les règnes de la nature, trouver notre juste place avec les habitants de la terre, voyons ce que nous transmet Alice Bailey dans le premier volume du Traité sur les sept rayons, sur les buts respectifs et l’évolution des différents règnes de la nature.

Le règne minéral
Le minéral compose la substance terrestre, le matériel solide de la vie planétaire. Il fournit les éléments de soutien des autres règnes. Son but est de démontrer la radioactivité de la vie : le noyau en se transformant libère de l’énergie, ce que nous pouvons comprendre comme le passage d’un état d’être à un autre, au moyen du feu, que ce soit le feu par friction dans la matière ou le feu solaire de l’âme humaine.
Le processus évolutionnaire comporte trois degrés dans le règne minéral, par exemple : le degré statique, puis le passage au cristal, pierre semi- précieuse, puis le passage au diamant, pierre précieuse, et enfin un degré ultime de substance radioactive. Les cycles de développement du monde minéral sont tellement étendus qu’il est presque impossible à l’homme d’en voir les relations.
« Si vous pouviez réellement comprendre l’histoire d’un cristal, vous entreriez dans la gloire de Dieu. Si vous pouviez entrer dans la conscience attractive et répulsive (c’est-à-dire l’amour) d’un morceau de fer ou de plomb, toute l’histoire de l’évolution vous serait révélée ». Le jour où l’histoire du règne minéral sera saisie, la longue route qu’a suivie le diamant sera vue et, par analogie, la longue route que parcourent tous les fils de Dieu, gouvernés par les mêmes lois et développant la même conscience.
Il est nécessaire que l’humain se rappelle qu’il n’est qu’une fraction du tout. Il a ses racines dans les trois règnes qui ont contribué à son équipement.
Il est le lieu qui unit les trois règnes de la nature aux trois règnes surhumains.
« Souvenez-vous toujours que le signe du développement spirituel de l’homme se trouve dans sa capacité d’inclure dans sa conscience non seulement les valeurs dites spirituelles, mais d’inclure aussi les valeurs matérielles et de réagir divinement aux puissances qui lui sont cachées, qui sont sous la garde des autres formes de vie que l’on trouve dans les trois règnes, minéral, végétal, animal. »
Alice Bailey, Psychologie ésotérique, vol. I, § 231.

Le règne végétal
Le règne végétal se révèle maintenant aux botanistes et aux agronomes dans sa sensibilité, son intelligence (capacité à mémoriser, à apprendre) et ses multiples communications : signaux électriques sur la totalité de la plante, relations interespèces (Wood Wide Web) et interrègnes, symbiose et coopération.7 Le règne végétal consacre sa vie au soleil avec le « besoin de tourner l’œil du cœur vers le soleil».
Végétal as-tu une âme ? se demande Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d’histoire naturelle de Paris et à l’université de Gdansk. Oui, si l’on considère que la réponse au soleil et la sensitivité est une expression de l’amour dans ce règne. Parfums, couleurs, harmonie et attractivité du végétal en témoignent et l’offrent au tout.
Le service principal du règne végétal est de capter et transformer l’énergie vitale de la planète, ou prana, et de la transmettre aux autres formes de vie. Il est une nourriture pour toutes les formes animales (il permet ainsi l’assimilation des minéraux) et source de beauté et d’inspiration.

Le règne animal
Dans le règne animal apparaissent les facteurs psychologiques et les facteurs d’intégration intelligente. L’évolution du règne animal se fait par l’expérimentation et aboutit dans le règne humain à la capacité de créer la « lucidité divine », c’est-à-dire de voir la Vie elle-même dans tout ce qu’elle implique.
Chez l’humain, la volonté, le dessein dirigé, l’objectif planifié constituent des qualités qui ne sont pas encore présentes dans le règne animal.
À l’humanité incombe la responsabilité d’entraîner et de développer ces aspects du mental chez les animaux, en particulier chez les animaux domestiques : chien, chat, cheval, éléphant. « C’est par le pouvoir de la pensée que l’homme comblera finalement la différence existant entre le règne animal et le règne humain. Cela ne se fera pas par l’évocation de l’amour ou de la peine, mais par une stimulation uniquement mentale. »
N’est-ce pas ainsi qu’agit Bartabas avec les chevaux, ou Solano avec les orques ?
L’homme et l’animal partagent les qualités d’adaptation à la vie et à l’entourage (instinct, cinq sens), ainsi qu’une relation émotionnelle. Concernant l’instinct et les cinq sens, les animaux ont plus à donner aux humains que les humains n’ont à donner aux animaux.

La tâche de l’homme
La tâche de l’homme est d’exprimer la fraternité sur le plan physique et de transmettre l’énergie divine au monde des formes qui l’attend. Pour le règne animal, cette tâche consiste à stimuler l’instinct jusqu’à ce que l’individualisation de vienne possible, c’est-à-dire stimuler le mental jusqu’à ce que l’âme puisse s’exprimer individuellement et « créer » un être nouveau. Son oeuvre dans le règne végétal est de fortifier la faculté d’engendrer le parfum et d’adapter la vie de la plante aux myriades d’usages pour l’homme et pour les animaux. Son travail dans le règne minéral est d’agir alchimiquement et magiquement… ce qui reste encore obscur à notre entendement.
Ne demandons plus ce que la terre peut faire pour nous, mais ce que nous devons apporter à la terre, au vivant. Et pour cela, nous sommes en chemin, un chemin de partage, de co-création, de beauté et de vie.

Bibliographie

– Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, Éd. Actes Sud, 2020.
– Bruno Latour, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, Éd. La Découverte, 2017.
– Jacques Tassin, Penser comme un arbre, Éd. Odile Jacob, 2018.
– Jacques Tassin, Pour une écologie du sensible, Éd. Odile Jacob, 2020.
– Emanuele Coccia : La vie des plantes : une métaphysique du mélange, coll. Bibliothèque Rivages, Éd. Payot et Rivages, 2016.
– Eduardo Kohn, Comment pensent les forêts : vers une anthropologie au-delà de l’humain, Éd. Zones sensibles, 2017.
– Stéphanie Chanvallon, Les relations humains/animaux : de l’espaceprotégé à l’espace partagé, une géographie physique et sensible, Éd.Carnets de géographes, 2013.
– Estelle Zhong, Enrichir notre sensibilité au vivant par l’art : la crise écologique comme crise de la sensibilité, Éd. Centre d’histoire de Sciences Po, no 84, 2016.
– Guillaume Corpard (fondateur de l’association Happy Earth Now), Un cri pour la terre : animaux, humains, planète, Éd. Parhélie, 2019.
– Pablo Servigne et al., Vivant, livre-journal n°4, Éd. La Relève et la Peste.
– Projet CanOvis : Étudier les interactions loups/troupeaux pour l’amélioration des chiens et systèmes de protection des troupeaux.